Statut des travailleurs de plateformes de l’UE : sortie de l’impasse

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Après des négociations longues et souvent difficiles, le 14 octobre 2024, les Etats membres de l'UE ont adopté définitivement la directive concernant les travailleurs de plateformes numériques. Le texte améliore leur protection et introduit une présomption légale d'emploi pouvant conduire à la requalification possible de certains indépendants en salariés.

Cependant, les critères déterminant cette présomption ont disparu du texte définitif : ce qui laisse une certaine latitude, voire une latitude certaine, aux pays dans l'application réelle de la directive...

Vote définitif du 14 octobre 2024

La directive est finalement adoptée par tous les Etats membres le lundi 14 octobre 2024, dont la France, et à l'exception de l'Allemagne, qui a fait le choix de l'abstention.

Après signature par le Conseil et le Parlement européen, la directive entrera en vigueur avec sa publication au Journal officiel. Les États membres disposent ensuite de deux ans pour intégrer les dispositions de la directive dans leur législation nationale.

Retour sur chacune des étapes de ce long chemin...

Le chemin a été long et incertain : après un premier vote en février 2023 autour d'un accord d'orientation générale, les 27 États membres de l’Union européenne ont avancé d'un pas le 13 décembre 2023, avec un accord politique plus précis sur la question des critères de requalification et de la transparence des algorithmes... pour reculer d'autant le vendredi 22 décembre 2023 et aboutir à un rejet du texte le vendredi 16 février 2024. Mais un nouveau rebondissement a finalement permis, le 11 mars, contre toute attente, un vote favorable !

Le coup de théâtre du 11 mars 2024

Alors que le dossier des travailleurs de plateformes au sein de l’UE semblait définitivement classé, un revirement surprise a fait changer la donne lors du d’une réunion des ministres du Travail, lundi 11 mars.

L’Estonie et la Grèce, qui s’était jusqu’alors rangé aux côtés de la France et de l’Allemagne en constituant une minorité de blocage, ont changé de position. Les deux pays ont ainsi ouvert la voie au vote favorable des Etats sur ce projet de directive.

Le texte doit désormais être ratifié par le Conseil et le Parlement européen et pourrait être adopté avant les prochaines élections européennes des 6 et 9 juin et le renouvellement du Parlement... S’il est adopté, le texte devra être mis en œuvre sous deux ans par chaque pays membre.

Le blocage du 16 février 2024

La France, l'Allemagne, la Grèce et l'Estonie ont bloqué le vote du texte, désormais au point mort. Est-il simplement en sommeil, en sursis ou ce vote sonne t-il sa mort ? 

« Le texte part, comme toujours, d’un bon sentiment », juge Grégoire Leclercq. « Mais il risque de déstabiliser le dialogue social en place. Avec deux risques : la remise en cause de ce qu’on négocie sur les tarifs à la hausse de livraison et de courses et que ce soit au final le consommateur qui paye la hausse des coûts. »

Le recul du 22 décembre 2023

Après l'accord politique entre le Parlement européen et le Conseil (qui représente les États membres) du 13 décembre, un revirement rarissime est venu réduire à néant les efforts de ces derniers mois. Une majorité des Etats semble indécise face à la question présomption légale d'une relation de travail de type salarié et à celle de la charge administrative.

La nouvelle présidence belge relance les négociations, qui seront contraintes par la date butoir imposée par les élections européennes en juin 2024.

L'accord du 13 décembre 2023

L'accord signé le 13 décembre 2023 précise les critères de requalification (2 sur 5 au lieu de 3 sur 7) et l'utilisation des algorithmes.

La présomption de salariat existe si la relation du travailleur avec la plateforme remplit au moins deux des cinq indicateurs suivants (au lieu des 3 sur 7 présentés dans le précédent accord) :

  • détermination par les plateformes des plafonds applicables à la rémunération des travailleurs ;
  • supervision de l'exécution de leur travail, y compris par des moyens électroniques ;
  • contrôle de la répartition ou de l'attribution des tâches ;
  • contrôle des conditions de travail et limitation de la latitude de choisir son horaire de travail ;
  • limitation de la liberté d'organiser son travail et règles en matière d'apparence ou de conduite.

Transparence accrue sur l'utilisation des algorithmes

Les travailleurs seront informés de l'utilisation de systèmes de surveillance et de prise de décision automatisés.

Les plateformes ne pourront pas traiter certaines données à caractère personnel (état émotionnel, conversations privées, prédictions sur l'activité syndicale, etc...).

L'accord du 12 juin 2023

Cet accord repose cependant davantage sur une volonté commune de débloquer la situation que sur un réel consensus de fond. Le cadre est validé, mais de nombreuses étapes attendent encore le texte, dont le contenu n’a pas fini d’évoluer... et vraisemblablement de susciter les débats. La directive pourra t-elle être promulguée en 2025 ? 

Un texte de compromis

Le 12 juin 2023, lors du Conseil "Emploi, politique sociale, santé et consommateurs", la proposition de directive autour du statut des travailleurs des plateformes a en effet passé une étape charnière : une majorité s'est dégagée pour valider une version amiable du texte.

La présidence du Conseil de l'UE (suédoise depuis janvier 2023 et bientôt espagnole) a proposé un texte susceptible d’être accepté par les pays favorables à une meilleure protection des travailleurs (comme l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas), et les pays plus libéraux, attachés à une application assouplie de la présomption de salariat, telles la France et la Pologne

Lors de ce dernier Conseil, sur les 27 États membres, 22 pays (dont la France) ont approuvé ce texte d'orientation générale, tandis que cinq autres (l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, l’Estonie et la Lettonie) ont fait le choix de ne pas s’y opposer mais se sont abstenus.

3 critères sur 7 pour une présomption de salariat

Depuis décembre 2021, la proposition de directive du Parlement européen sur les travailleurs de plateformes était en discussion. Bien qu'elle ait été adoptée le 2 février 2023, la directive comportait encore des zones d’ombre, notamment la question controversée de la requalification des "faux indépendants" en salariés.

Selon la position générale adoptée le 12 juin par les ministres, les travailleurs des plateformes numériques seront requalifiés en salariés (au lieu d'être considérés comme des travailleurs indépendants) s'ils remplissent au moins trois des sept critères de subordination définis dans la directive

Les 7 critères

L’article 4 de la directive concerne la présomption légale de salariat : il stipule que “À moins que les États membres prévoient des dispositions plus favorables conformément à l'article 20, la relation entre une plateforme de travail numérique et une personne exécutant un travail en passant par cette plateforme est légalement présumée être une relation de travail lorsque la plateforme de travail numérique exerce un contrôle et une direction sur l'exécution du travail par ladite personne.”

Les critères permettant d’évaluer ce “contrôle” et cette “direction”: 

  • la plateforme de travail numérique détermine les plafonds du niveau de rémunération ; 
  • la plateforme de travail numérique exige de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail ; 
  • la plateforme de travail numérique supervise l'exécution du travail, y compris par des moyens électroniques ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d'organiser son travail en limitant la latitude de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d'organiser son travail en limitant la latitude d'accepter ou de refuser des tâches ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d'organiser son travail en limitant la latitude de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint la possibilité de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers.

La preuve de salariat

La démarche pour une présomption légale de salariat pourra être activée à la demande du travailleur lui-même ou d’une autorité du travail. Dans les cas où la présomption légale de salariat s'appliquerait, il reviendra à la plateforme numérique de prouver que le travailleurs exerce véritablement en tant qu’indépendant. Les travailleurs indépendants n'auront donc pas à prouver eux-mêmes qu'ils sont en réalité des salariés de la plateforme.

La reclassification du travailleur permettrait à celui-ci de bénéficier automatiquement de nouveaux droits sociaux et salariaux.

Transparence dans la gestion des algorithmes

L’accord encadre et limite l’usage des algorithmes pour gérer des décisions concernant les travailleurs, en particulier les déconnexions. La directive prévoit que les prises de décision devront être contrôlées par un humain.

La question des dérogations 

Certains pays prônent une présomption légale sans restrictions ni dérogations… alors que d’autres tiennent à disposer de dérogations dans l’application des règles issues de la directive.

Même si la France a cette fois voté en faveur du nouveau texte, elle s’est élevée contre des réglementations trop strictes, qu’elle juge susceptibles de mettre fin à l'auto-entrepreneuriat et d’entraîner des requalifications massives potentiellement préjudiciables à ce secteur d’activité.

Selon le ministre français du travail, les plateformes respectant les règles nationales doivent pouvoir échapper à la règle des critères de requalification.