Mission “ubérisation dans la ville”
Face à la montée en puissance des plateformes numériques dans divers secteurs économiques, une mission d'information et d'évaluation sur l'ubérisation dans la ville est à l’œuvre depuis juillet 2024. Cette initiative des élus parisiens vise à analyser les impacts sociaux, fiscaux et environnementaux des plateformes numériques... et formuler des propositions pour réguler les impacts négatifs. Dans ce cadre, le président de l'Observation de l'Uberisation et de la Fédération nationale des auto-entrepreneurs, Grégoire Leclerq a apporté son éclairage sur la situation.
Le développement des plateformes et ses effets sur la ville
Depuis plusieurs années, Paris se trouve confrontée aux effets croissants de l'ubérisation. Ce modèle, introduit à grande échelle par des entreprises comme Uber, s’est rapidement étendu à de nombreux secteurs, comme les livraisons, le logement ou encore les services à la personne. Les travailleurs indépendants, ou microentrepreneurs, sont au cœur de cette économie de plateforme. Si ces modèles économiques permettent une flexibilité à la fois pour les prestataires et les consommateurs, ils soulèvent néanmoins de nombreuses questions quant à leur impact social, fiscal et environnemental et suscitent de vifs débats parmi les élus parisiens.
Le cas des darkstores
Les plateformes de livraison, par exemple, comme Deliveroo et Uber Eats, ont provoqué une prolifération de dark stores, ces entrepôts cachés où sont stockées les marchandises destinées à être livrées rapidement. Ces installations, qui perturbent les riverains par les nuisances qu'elles génèrent, ont été catégorisées comme "entrepôts" par le Conseil d’État, permettant ainsi à la mairie de réguler leur développement.
Ce premier succès de régulation n’a toutefois pas freiné la progression de l’ubérisation dans d’autres domaines, ce qui pousse les élus à examiner plus largement l'impact de ces plateformes.
Evaluer la soutenabilité du système
C’est dans ce contexte que la Mission d’Information et d’Évaluation sur "l’ubérisation dans la ville" a été créée. Son objectif est d’examiner les conséquences de l’ubérisation sur plusieurs fronts : l’emploi, les conditions de travail, l’empreinte environnementale et les nuisances pour les habitants. Cette mission, portée notamment par Ian Brossat (groupe Communiste et citoyen), vise à répondre à des préoccupations majeures concernant la soutenabilité de ces modèles économiques et à proposer des solutions de régulation.
Pour Ian Brossat, "il s’agit d’évaluer les effets sociaux en raison de la précarité des travailleurs des plateformes, l’empreinte environnementale et les nuisances subies par les habitants". La mission entend également se pencher sur les stratégies d’optimisation fiscale mises en place par les entreprises du secteur.
Pour Maud Gatel, présidente du groupe MoDem, démocrates et écologistes, l’enjeu est également démocratique. Elle souligne que ces plateformes se sont développées sans réelle concertation avec les autorités locales, ce qui pose des questions de gouvernance. Gatel évoque aussi les conséquences sociales de la consommation instantanée promue par ces entreprises, qui contraint les livreurs à accélérer leur rythme de travail, souvent au détriment de leur sécurité. L’absence de verdissement des flottes de véhicules et la problématique des déchets liés aux livraisons sont également des préoccupations soulevées.
Audition de Grégoire Leclerq (Observatoire de l'Ubérisation)
Dans le cadre de cette mission, une table ronde a été organisée le 3 octobre 2024 à l’Hôtel de Ville, en présence de Grégoire Leclerq, président de l’Observatoire de l’Ubérisation, et d’Alexandre Labasse, directeur général de l’Atelier parisien d’urbanisme. Cette table ronde avait pour objectif d’établir un état des lieux de l’ubérisation dans l’économie globale et locale. Grégoire Leclerq a notamment insisté sur la nécessité de comprendre la nature des activités et des secteurs touchés par l’économie de plateforme, ainsi que les conséquences de ce modèle économique.
Le rôle ambivalent des plateformes
Le président de l’Observatoire de l’Ubérisation a présenté une analyse détaillée des tendances de l'ubérisation, évoquant l’impact croissant des plateformes sur le marché du travail et la précarisation des travailleurs. Selon lui, les plateformes jouent un rôle ambivalent : elles offrent de nouvelles opportunités économiques, mais au prix d’une plus grande insécurité pour les travailleurs. Le recours à des travailleurs indépendants permet aux entreprises de contourner le droit du travail traditionnel, ce qui soulève des questions sur la relation de subordination et les conditions de travail dans ces secteurs.
Les stratégies fiscales des plateformes
Les échanges avec les membres de la mission ont permis d’approfondir certains points, notamment sur les stratégies d’optimisation fiscale des plateformes. Grégoire Leclerq a souligné que ces entreprises bénéficient souvent de failles fiscales et de régulations nationales insuffisantes, comme l’illustre le cas de certains géants comme Airbnb ou Uber.
Objectif : mettre en place des solutions de régulations
La mission d’information et d’évaluation ne se limite pas à un état des lieux. Elle vise aussi à proposer des solutions pour mieux réguler l’ubérisation dans la ville. Parmi les propositions discutées, on trouve la régulation de l’espace public pour limiter les nuisances causées par les plateformes, en s’inspirant des actions menées contre les trottinettes en free-floating. La Ville de Paris, déjà active dans la régulation de certaines pratiques (comme la gestion des dark stores), pourrait étendre ses actions à d’autres secteurs.
Des modèles économiques alternatifs
Il est aussi question d’encourager des modèles économiques alternatifs, comme l’économie sociale et solidaire (ESS), qui pourrait offrir une réponse plus durable et éthique aux problématiques soulevées par l’ubérisation. Une campagne de sensibilisation à destination des consommateurs est également envisagée, pour les encourager à prendre conscience des impacts sociaux et environnementaux de leurs habitudes de consommation.
Apprendre de l'expériences des autres métropoles
Enfin, la mission entend consulter les expériences d’autres grandes métropoles pour s’inspirer de leurs stratégies de régulation de l’économie de plateforme.
Au terme de ces travaux, un rapport sera soumis au Conseil de Paris. La ville de Paris souhaite ainsi prendre des mesures pour limiter les effets néfastes de l’ubérisation tout en explorant des alternatives durables pour l’économie locale.