Les chartes entre les plateformes et les travailleurs indépendants remises au gout du jour
Le projet de « charte » entre les travailleurs indépendants et les plateformes de mise en relation ferait son grand retour… par voie de décret. L'opération a été annoncée au Parisien - Aujourd'hui en France par le ministère du Travail et Heetch, la start-up de transport entre particuliers devenue une plate-forme de voiture de transport avec chauffeur (VTC), au même titre que Uber, Kaptain ou Marcel. Encore en préparation le 20 octobre 2020 selon Le Parisien, ce texte est relatif à la responsabilité sociale des plates-formes de mise en relation et devrait être publié cette semaine au Journal officiel.
Chez les plateformes, l'idée fait son chemin : Teddy Pellerin, le patron de Heetch, annonce vouloir lancer sa « charte d'engagement » d'ici à la fin de l'année, pour assainir le marché en rendant les règles de la plateforme transparentes, notamment sur le fonctionnement de l'attribution des trajets et le prix minimum par course, qu'il faut remonter ». Uber assure avoir également entamé une procédure de consultation des chauffeurs au sujet d'une potentielle charte telle que prévue par la loi d'orientation des mobilités en décembre 2019.
«L'idée du décret est de forcer les acteurs à avoir un dialogue»
Mais le sujet est loin d'être simple. En décembre 2019, le Conseil constitutionnel avait annoncé avoir partiellement censuré un article de la Loi d'orientation des mobilités (LOM). Les Sages, saisis par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, avaient estimé que « la charte » établie par un opérateur de plate-forme pour préciser les conditions de travail et sa responsabilité sur le plan social empêchait un juge de requalifier la relation entre la plate-forme et le travailleur en « contrat de travail ». Décision d'ailleurs jugée inexplicable par la FNAE à l'époque...
Avec ce décret en préparation, le ministère serait-il en train de faire passer par la fenêtre un sujet pour lequel le Conseil constitutionnel avait fermé la porte? « Non, l'idée du décret est de forcer les acteurs à avoir un dialogue, précise un porte-parole du ministère du Travail. Un décret n'a aucun impact, ni favorable, ni défavorable sur la relation qui unit un travailleur à la plate-forme. Il ne reste que l'engagement volontaire d'une charte, qui n'a pas de valeur, ni d'effet sur la qualification du contrat de travail ».
Pour les plates-formes, l'enjeu est conséquent alors que la crise du Covid-19 fragilise les chauffeurs de VTC. Une activité qui mobilise plus de 30 000 conducteurs en France, dont 20 000 rien que pour l'Ile-de-France.
La baisse du prix de la course est un enjeu crucial
La Loi d'orientation des mobilités (LOM) était censée régler ce malaise grâce à un affichage obligatoire du prix et de la distance des courses, notamment, ainsi qu'un « droit à la déconnexion » pour les chauffeurs désirant travailler à leur rythme. Alors que les chauffeurs de VTC n'arrivent pas à renouer avec une activité normale, les décrets d'application se font attendre et la crise relance un débat explosif sur le prix minimum par course — qu'une majorité de plates-formes sont tentées de baisser pour gagner des parts des marchés.
Si l'objectif affiché est celui de la transparence, il s'agit aussi pour les plateformes de nouer un lien privilégié avec des chauffeurs qui jonglent entre plusieurs plates-formes. « Un chauffeur qui accepte des trajets puis qui les refuse, je n'ai pas envie de travailler avec lui », prévient le patron de Heetch, qui entend demander à ses chauffeurs de respecter un seuil de prise en charge minimum des clients.
La FNAE trés favorable
Pour la Fédération Nationale des Autoentrepreneurs, c'est en revanche une piste trés sérieuse et solide. La FNAE a toujurs défendu une idée selon laquelle les chartes, sans pour autant se substituer au pouvoir du juge sur les situations flagrantes de requalification, serait en revanche une voie efficace pour créer un dialogue social de qualité entre les donneurs d'odre et les travailleurs indépendants. " Si les plateformes peuvent jouer le jeu du dialogue et social et apporter plus de garanties sur les conditions d'exécution de la mission, les travailleurs reprendront confiance dans cet outil", conclut Grégoire Leclercq.
L'Intersyndicale dénonce une «pseudo-charte»
Pour la ministre du Travail, Elisabeth Borne, le fait de maintenir un prix minimum grâce à une charte comme le fait Heetch est « une bonne façon de faire ». Selon la ministre, précédemment en charge des Transports, où elle avait porté la question de la responsabilité sociale des plateformes de mobilité dans le cadre de la loi LOM, ces chartes doivent « garantir des conditions de travail décentes, et ne pas faire arriver en masse des chauffeurs qui se retrouveraient en concurrence entre eux, obligés de prendre des courses avec lesquels ils ne peuvent pas vivre ». Elle défend « un mode de travail qui intéresse un certain nombre de personnes qui pensent qu'elles n'accéderont pas au travail salarié ou qui ne veulent pas de travail salarié ».
Contacté, Brahim Ben Ali, secrétaire général de l'Intersyndicale nationale VTC (INV), dénonce « une pseudo-charte, qui ressemble à une pure opération de communication de Heetch et du gouvernement ». Selon lui, il s'agit ni plus, ni moins d'un « cadeau aux plates-formes ».