La phénoménale accélération du digital n'épargne plus aucun métier. Un défi pour les dirigeants en place confrontés à un risque croissant de perte de contrôle. Aujourd'hui, c'est toute notre pyramide sociale qui est bouleversée.
de Sabine Delanglade
Qu'y a-t-il donc de commun entre Uber, la jeune start-up d'à peine cinq ans, et Air Liquide, la centenaire installée dans tous les complexes industriels de la planète ? Leurs valorisations sont comparables, à peu près une quarantaine de milliards de dollars chacune, mais il ne s'agit pas de cela. Il est plus étrange que l'une inquiète l'autre. Non, Benoît Potier, le patron du groupe français, ne veut pas se lancer dans le business du taxi, mais la brutalité de l'apparition d'Uber lui démontre que tout peut arriver et qu'on ne sait pas d'où le changement, la fameuse « disruption », peut survenir : « Il se passe, dit-il, des choses actuellement qui bouleversent l'environnement à une vitesse inégalée. »
Le géant des gaz industriels a donc remanié sa recherche pour lui redonner la vivacité des start-up, il réfléchit aussi à alléger le poids de la hiérarchie dans son entreprise pour ne pas rebuter les jeunes ingénieurs innovants dont il a besoin. Tous les grands groupes ou presque, tels, par exemple, Pernod Ricard ou Michelin, se dotent de réseaux sociaux, tablent sur le numérique pour partager les bonnes pratiques, veulent « susciter les imaginations ». « Seuls les paranoïaques survivent », écrivait Andrew Grove, le patron d'Intel. Tous sur le pont face aux pirates du Net !
Les « Booking.com » et autres « Expedia » ont déjà privé les hôteliers d'une part de leur chiffre d'affaires, et la machine Airbnb s'apprête à leur piquer leurs chambres ! Cet été s'ouvrira, près de Nagasaki, l'hôtel « le plus efficace de la planète » (1). A l'arrivée, le check-in sera assuré par trois robots d'accueil qui ne remettront pas des clefs aux occupants mais enregistreront les caractéristiques de leurs visages afin qu'ils puissent ouvrir leur chambre par reconnaissance faciale. D'autres robots porteront les valises, serviront le café et feront le ménage, l'hôtelier en attend une économie d'au moins 70 % par rapport à un établissement conventionnel. De quoi comprendre qu'Accor projette de consacrer 225 millions d'euros à la bataille du numérique. Maurice Lévy, le patron de Publicis, évoque « l'uberisation » de l'économie.
Tous ces exemples montrent que nos managers ont peur d'être déconnectés, et combien l'excellent livre de Laure Belot : « La Déconnexion des élites » (2) touche juste. Déjà des associations, des fonctionnaires, des cadres lui disent qu'elle a mis dans le mille sur ce qu'ils sont en train de vivre, les DRH s'angoissent de ne pas trouver les formations qui permettraient de répondre au sujet. Ce qu'elle décrit c'est, bien sûr, l'accélération du monde digital. En 2013, un titre boursier a changé de mains en moyenne toutes les vingt-cinq secondes, en 2008 c'était tous les deux mois. Le problème, c'est surtout la perte de contrôle que cet essor induit : « En France comme dans les autres pays, les penseurs, les responsables économiques, politiques ou syndicaux découvrent une société qui ne les attend pas. » Le monde de Leboncoin.fr s'organise dans le sien. Il est plus facile de trouver un job par lui que par Pôle emploi, où « la grille des mots-clefs pour décrire les postes est archaïque, l'inscription des offres fastidieuse ». Agents immobiliers ou vendeurs de voitures sont aussi mis en cause. Pourquoi dépenser 5.000 euros par an en moyenne pour avoir une voiture à 95 % inoccupée quand BlaBlaCar est là ? Le succès des MOOC, ces cours en ligne, a pris de court le monde académique. Seuls 5 % des 2 millions d'inscrits à la plate-forme Alison (500 cours gratuits contre 6 en 2007) ont des diplômes supérieurs, fenêtre ouverte notamment pour les femmes écartées du savoir dans certains pays.
De cette fameuse économie collaborative, Laure Belot fait un tour passionnant et complet. Pret-dunion.fr ou Lending Club (plus de 6 milliards de dollars de prêts depuis 2007) sautent la case d'une banque perçue davantage comme un supermarché obscur de la finance qu'un « pilier de la société ». Résultat, on s'en passe, on se prête entre nous, et vive aussi le « crowdfunding ». Pareil pour la politique, on n'y croit plus, on pétitionne sur Change.org, c'est sur le Net que les « pigeons » patrons ont pris leur envol : « Cette société de liberté déborde toutes les élites, sans aucune culpabilité », remarquait alors le regretté sondeur Jean-Marc Lech.
Une que tout cela n'étonne pas du tout c'est Natalie Rastoin. Pour l'agence Ogilvy qu'elle dirige, elle sonde sans relâche cette société qui se lâche. Enarchie, grandes écoles, rallyes mondains, les élites au pouvoir ont mis toute une vie, une carrière, voire plusieurs générations à forger leur autorité : « Comment pourraient-elles comprendre qu'un blogueur puisse bâtir la sienne en quelques clics ? » Comme ce professeur d'informatique dans un lycée marseillais, qui en 2005 a lancé une campagne pour le « non » au référendum sur l'Europe quand toute la gentry économique ou médiatique votait oui. On connaît la suite. Cela fait donc au moins dix ans qu'elle aurait dû apprendre à éviter de se faire prendre dans les filets du Net.
Les politiques sont encore au bord de la route. A voir la fréquence soudaine de leurs voyages dans la Silicon Valley, les entreprises, plus pragmatiques, elles, enfin, embarquent.
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